L’intervention militaire en Côte d’ivoire ou les errements de la Communauté internationale

Publié le par Istovant

Depuis plusieurs mois nous avons assisté en direct à la dégradation de la situation en Côte d’ivoire sur les plans, politique, sociétal et humanitaire. Une vraie crise politique et humanitaire que l’Afrique n’avait plus connu depuis dix ans et qui une fois de plus, tend à consolider l’idée que le monde se fait de l’Afrique noire ; l’impossibilité d’une transition politique pacifique.

S’il est mal aisé d’apprécier toute la dimension politique du dossier (trop de paramètres inconnus), il est toute fois possible d’en soulever les interrogations juridiques sous-jacentes.


*      La première serait celui de l’organisation d’une élection présidentielle avec la Certification de l’ONU.


Si ce mécanisme préalablement pensé pour satisfaire aux exigences de l’article 1 de la Charte des Nations-Unies arrivait en CI dans le but d’éviter à l’intérieur de cet État  une rupture de la paix, il n’empêche qu’il porte à nourrir des interrogations relatives à d’autres principes des Nations-Unies : Notamment le « droit des peuples à disposer d’eux-mêmes » (article 1 al.2) qui implique, l’auto-détermination de même que le libre choix du destin politique propre à chaque nation.

Le droit international interdit par ailleurs, l’ingérencedans les affaires intérieures des États. Le principe de non-ingérence, défini dans le Chapitre I, Article 2 al.7 de la Charte des Nations unies : « Aucune disposition de la présente charte n'autorise les Nations unies à intervenir dans les affaires qui relèvent essentiellement de la compétence nationale d'un État. » Seules deux exceptions contournent cette règle de droit. Dans le cas de menace contre la paix ou de non-respect des droits de l'homme, le droit international autorise de façon partielle et contrôlée l'intervention internationale dans les affaires d'un État souverain (la prénommée « ingérence humanitaire »). Ce principe est le corollaire du premier principe, celui de l’auto-détermination.

Il est certes vrai que la Certification du scrutin par les Nations-Unies est une mesure préalablement acceptée par le président sortant de la CI Laurent Gbagbo. Cependant, il est également nécessaire de préciser que, aculé, il n’a eu d’autres choix que d’accepter ce qui apparaissait alors comme une issue à la guerre civile ivoirienne déclenchée plus tôt, par les milices armées  (Forces Nouvelles) dont  Guillaume Soro est le secrétaire général. Il est également important de préciser que la Certification n’avait pour mandat que de « certifier » que le processus électoral s’était déroulé conformément aux règles de démocratie telles que reconnues par la communauté internationale. Le Conseil constitutionnel reste, dans la plupart des États  démocratiques, le seul organe qui valide et connaît du contentieux électoral. En CI, le Conseil constitutionnel a donné les résultats sur lesquels, il n’est pas utile de revenir ici.

Car l’objet de cette analyse n’est pas de déterminer qui, de Laurent Gbagbo ou de Alassane Ouattara est le vainqueur de cette élection, mais d’insister uniquement sur la pertinence des procédures.


*      Ma deuxième grande interrogation dans la crise en CI est la pertinence d’une intervention militaire de la France et de la Communauté internationale, aux côtés de Forces rebelles.


Dans le cadre de ses missions, le Chapitre VII (article 39 et Ss.), reconnaît au Conseil de sécurité le pouvoir de prendre des mesures en faveur de la paix. Dans un rapport ascendant, celles-ci peuvent aller du simple embargo (article 41) à la force coercitive (article 42) afin de rétablir la paix.

Dans le cadre du maintien de la paix en CI, le Conseil de sécurité avait pris la Résolution  1528 du 27 février 2004, portant création de l’ONUCI en remplacement de la MONUC. Pour les besoins de cette mission, il s’est appuyé sur les forces françaises déployées en CI dans le cadre de l’opération Licorne (article 43).

Dans un scénario comme celui de la CI (crise endogène avec des risques de rupture de la paix sous régionale), les forces militaires des Nations-Unies se contentent de manière générale à n’être que des forces d’interposition souvent impartiales.

Ce qui peut d’abord paraître surprenant, c’est le blocage de l’aéroport d’Abidjan par les forces de la Licorne, dans un contexte d’interposition, alors même que nous n’avons aucun élément qui permette de dire que cette mesure fut utile à la stabilisation ou à la consolidation de la paix en CI. Ou alors qu’elle fut nécessaire à empêcher la dégradation de la situation.

En outre, depuis quelques jours, les forces rebelles favorables à Alassane Ouattara, ont pris le contrôle du pays. Le reste n’étant que l’affaire de quelques jours. Des charniers ont été découverts un peu partout depuis le début des conflits. Ces derniers sont indifféremment imputables  à l’un et à l’autre des protagonistes. S’il est probable que Laurent Gbagbo, son épouse Simone et son jeune ministre Blé Goudé, risquent la Cour pénale internationale (une hypothèse qui à mon avis prendra forme si la crise se dénoue telle qu’elle semble se dénouer), que risquent ADO et son ministre Guillaume Soro au regard du droit pénal international ?

Enfin, je ne peux m’empêcher de m’interroger sur l’opportunité juridique voire doctrinale d’une intervention militaire de l’ONU aux côté d’une faction rebelle, quelle qu’en puisse être la finalité. La Communauté internationale et l’ONU ont dès le départ mis l’accent  sur la prise en compte de la légalité (bien différente de la légitimité) dans le traitement des crises. Or dans le cas de figure ivoirien, cela ne semble poser de problème à personne que les forces (légales) de la Licorne soutiennent militairement (bombardements en appui aérien) l’action des forces rebelles dirigées par Soro et pro ADO. Sachant que, ce qui peut apparaître aux yeux de certains comme des forces de libération, apparaissent d’un autre point de vu, comme des forces terroristes portant atteinte à la sûreté de l’État. Cette problématique s’est déjà posée à plusieurs fois dans l’histoire de plusieurs autres nations (Israël, Afghanistan, France…). De là, de sérieuses interrogations montent quant « aux pouvoirs du Conseil de sécurité ». Il semblerait que ce dernier, pour faire face au contexte de la sécurité internationale actuel, agissent désormais de manière moins rigide, moins dogmatique. Préférant laisser place à des procédures ad hoc, utile à ses yeux pour gérer des crises protéiformes et soudaines. C’est le cas pour la CI, mais aussi actuellement pour la Lybie. Il s’agit de deux États  africains. Ce qui m’emmène à me remémorer la formule de Lacordaire sur l’adéquation entre la force et le droit, tout en espérant que l’ONU saura sous d’autres cieux (Europe, Moyen-Orient, Asie…), lorsque cela sera nécessaire, utiliser la coercition militaire pour mettre un terme à une rupture ou une menace de la paix internationale au lieu de se contenter d’une pléthore de résolutions inefficientes comme c’est souvent le cas.

 

Amicalement,

 

Istovant E. Nkoghe

Brest,

 

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L
<br /> Bonsoir monsieur Nkoghe,<br /> <br /> Je suis un de vos anciens étudiants (en cours de travaux dirigés sur le droit de l'Union européenne) et j'ai gardé le souvenir du sujet de votre thèse : le droit spatial et les évolutions martiales<br /> de l'espèce (certes, ce n'est pas l'intitulé exacte).<br /> <br /> J'aurais souhaité m'entretenir avec vous de ces sujets, et savoir où vous en étiez. Si jamais vous étiez disposé à en parler.<br /> <br /> En vous remerciant d'avance,<br /> <br /> Thibault LAMIDEL<br /> <br /> P.S. : ce n'est pas vraiment un commentaire, mais un formulaire de demande de mise en contact.<br /> <br /> <br />
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D
<br /> je suis étudiant en droit de l'homme et action humanitaire, et je trouve votre analyse de l'intervention militaire en Côte d'Ivoire très pertinente. J'espère que l'humanitaire, qui est très noble<br /> ne va pas être totalement instrumentalisé comme c'est déjà le cas pour les droits de l'homme!<br /> <br /> <br />
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