Praxis politique africaine: A la recherche d’une ontologie des trajectoires du politique en Afrique

Publié le par Istovant

 

Chers lecteurs,

 

Depuis quelques jours les yeux du monde entier sont rivés vers la côté d’Ivoire, suite à la situation absurde et absconse résultant de la dernière élection présidentielle. Si l’on souhaite avoir une approche plus nette de la situation, il faudrait la prendre depuis la mort de l’ancien président Félix Houphouët-Boigny, en 1993. Plusieurs plumes se sont déjà donné du mal à reconstruire la chronologie des évènements, pour que je le fasse ici, de façon certainement moins complète et probablement moins talentueuse[1]. En revanche ce que je souhaite dans ces quelques lignes c’est aborder une question bien complexe pour tous mais certainement aussi épineuse dans l’entendement de certains nationalistes africains de tous bords. Jeunes, adultes. Vieux et moins vieux. C’est la question de la politique en tant que constante dans la science de la gestion des cités. Et parallèlement à elle, l’idée de la République et de ses déclinaisons. Il est aussi possible d’aborder l’idée d’un pouvoir monarchique en tant qu’option politique possible, pour la crédibilité des régimes politiques africains. A partir de ces deux déclinaisons, il est possible de dire les erreurs originelles des systèmes politiques africains et peut être mieux comprendre leurs conséquences actuelles.

 

De l’universalité des règles du modèle républicain.

 

Au cours de l’été 2009, je visitais un quartier de Libreville dans lequel, des jeunes tenaient une réunion politique publique pour soutenir le candidat à la présidentielle, Ali Bongo, en lice à la succession de son défunt père Omar Bongo. L’ambiance qui y régnait était confiante et accueillante. Je fus présenté par mon accompagnateur à cette assemblée de jeunes citoyens que je trouvais, motivés au demeurant et intéressés par la chose politique. Ce qui n’était pas pour me déplaire. Au contraire, j’ai toujours voué une grande admiration aux personnes qui se soucient de la gestion de leurs cités et des éventuelles trajectoires de celles-ci.

Dans sa présentation de ma modeste personne, en des termes trop élogieux et certainement immérités, mon accompagnateur ajoutait que j’enseignais le droit constitutionnel à la faculté de Droit de Brest et que je militais au sein du Parti Socialiste. C’est à ce moment que je suis interpellé par le commentaire de l’un d’entre eux. Plus précisément, le président de séance :

 

«  - Voici un autre Ben Moubamba[2] ! Tous ces intellectuels sevrés à la conception occidentale de la politique » [Les propos de la deuxième phrase ont été retranscrits en une formulation bien mieux compréhensible et moins dédaigneuse]

 

Je lui répondais que la politique, est aussi universelle que la religion qu’il pratiquait, en l’occurrence, le catholicisme. Que tous deux ont leur part de liberté et de mythologie fondatrice et leur part de dogmatisme stabilisateur.

Tout comme l’Église catholique varie de Rome à Libreville. De Libreville à Macao. De Macao à Bassora. De Bassora au Québec. La politique peut emprunter les traits du creux dans lequel elle va se lover. Cela peut être perçu et c’est compréhensible, comme une stratégie qui permit, à une époque, une plus large adhésion à ce monothéisme  nouveau et symbolisant la suprématie spirituelle du colonisateur.

Le compromis fut de permettre une adaptation des rites sans pour autant toucher aux éléments essentiels. La genèse, la trinité, les mystères de la naissance et de la résurrection du Christ. Cet ensemble intangible que l’on entend, égrainé au cours du « credo » et qui est la base de la foi de tout chrétien catholique.

 

 On vit avec quelle habileté l’Église superposa son calendrier à celui des évènements païens dans la civilisation occidentale et dans bien d’autres, afin de permettre dans la mesure du possible une fusion des divinités. Ce que je dis ici est probablement contestable, mais je ne le tire nullement de mon imagination. Quelques simples recherches permettent de prendre connaissance des études réalisées par les historiens des religions sur ces sujets.

 

L’expansion d’une idée de la politique dans sa forme républicaine aux États africains qui ont choisi ce modèle obéit presque aux même logiques. Ou du moins aurait pu obéir aux mêmes logiques. Je dis « obéit », car la politique aussi a ses dogmes et ses avatars. Tout comme la religion, elle a ses mythes fondateurs et ses commandements. Elle a sa part de flexibilité et sa part d’intangibilité. On l’a vu, parmi les constitutions de nombreux États africains, si certaines s’inspirent ou des pratiques constitutionnelles du Commonwealth ou de la Constitution du 4 octobre 1958, elles comportent en soi une grande part d’innovation et d’originalité qui permettent de prendre en compte les réalités locales. Le Gabon a d’ailleurs, dans la pratique politique mis l’accent sur une répartition des postes, qui tient compte de la diversité des représentations ethniques et des provinces. Ce qui est à mon avis le signe d’une insuffisance démocratique et institutionnelle. Si je pense que cette pratique se justifiait à une époque bien reculée où les susceptibilités ethniques étaient bien réelles et la paix sociale encore fragile, je pense également qu’elle n’a plus sa place aujourd’hui. Ne pas l’abolir est le signe ou de convenances ou d’un manque de courage politique. Je pense que le Gabon est arrivé à l’adolescence et que les gabonais se fichent totalement que leur premier ministre soit de l’Estuaire ou d’une autre province tant qu’il reste le premier ministre d’un gouvernement républicain, lui-même soutenu par une majorité à parlementaire (lorsqu’il s’agit d’un régime parlementaire). Tout comme ils se fichent de l’origine provinciale du président du Sénat et de l’Assemblée Nationale. Les espoirs et les espérances des gabonais sont connus de tous et surtout, de tous les gouvernants.  Et bien mieux que ça, ils transcendent la condition ethnique. Toute autre approche relèverait ici ou d’une tentative de manipulation ou d’une dangereuse démagogie.

 

La politique et ses déclinaisons institutionnelles, comporte également sa part de sacré, d’inviolable. Ainsi, les États qui ont choisi la forme Républicaine devront avant toute chose servir l’intérêt général. C’est un dogme aussi réel et intangible que l’idée de la trinité dans la foi catholique. Dans une République, la transmission du pouvoir n’est pas héréditaire. Le pouvoir s’obtient par le mandat que le peuple octroi aux gouvernants par les seuls suffrages. Ce dernier est en principe limité, renouvelable ou pas. En outre, il existe une idée de la répartition des pouvoirs au sein de régime politique. Idée qui accompagne elle-même celle selon laquelle toute concentration du pouvoir conduit inexorablement au despotisme. C’est une expérience vécue et dont de nombreux régimes occidentaux ont tiré des leçons par le passé. La nécessité de diviser le pouvoir est le fruit d’une très longue réflexion, qui débute avec Aristote, dans son ouvrage, Politique. Cette réflexion se poursuivra avec les contributions historiques de Charles Louis de Montesquieu, de John Locke, de Jean-Jacques Rousseau et d’Emmanuel Joseph Sieyès. La nécessité de mettre en place un régime dans lequel les pouvoirs sont séparés et exercent sur eux un contrôle et/ou des pressions réciproques en toute indépendance fut généralement admis. Cela est devenu un autre dogme de la République. Une expérience cristallisée à partir d’un vécu et des conséquences assez répétées et désormais connues de tous. Les noms de Rousseau, Locke, Montesquieu, Sieyès ont à mes yeux autant d’importance, que ceux de Jean, de Luc ou de Mathieu. Ils sont les prédicateurs d’une aspiration aussi vieille que l’idée de société : Celle selon laquelle, l’homme aspire indéniablement à la paix et au bien vivre ensemble. Ces aspirations elles-mêmes ont été, assez bien théorisées par Maslow, dans sa légendaire pyramide des besoins, réalisée en 1943 sous le titre « A theory of Human Motivation ».

 

 

La forme du contrôle ou des moyens de pressions, de même que leur intensité, peuvent varier d’une région à une autre, mais il demeure vrai, aussi vrai que les mystères de l’Église, que dans un gouvernement républicain, le seul intérêt qui reste au dessus de tous et par tous temps, est l’unique intérêt général. En d’autres termes, avec le même respect auquel on se plie aux règles d’une religion dans laquelle, notre adhésion a été donnée, c’est avec le même respect que l’on se plie aux règles de la forme républicaine que l’on a choisi pour un État.

Rien ne nous met à l’abri de l’erreur fondamentale. Celle sans laquelle nous cesserions d’être humains. Tout peux changer, mais pas n’importe comment, pas n’importe quand. Une constitution est là pour décrire les institutions, leurs rôles, en définir les règles de fonctionnement et de répartition. C’est un texte sacré. C’est la bible du républicain. Or il est très répandu que les États africains et leurs dirigeants ont une fâcheuse tendance à en faire un simple livret décrivant la manière dont « ils » entendent gérer et répartir le pouvoir politique. En d’autres termes, « - l’État, c’est Moi ! »[3]. Il serait très apaisant d’entendre dans la religion quelqu’un qui réécrive la bible et prenne la place du Christ. Cela éviterait à des nations entières de continuer d’espérer infiniment ou alors plus simplement de mettre un terme au blasphème en le lapidant comme ils l’ont d’ailleurs fait du vrai Christ en son temps lorsqu’il s’est proclamé « messie  et fils de dieu ».

 

Cette tendance à penser qu’une personne peut se substituer à la République est une croyance vaine. Une vraie chimère lorsqu’il ne s’agit pas de délires métaphysiques aux conséquences aussi néfastes pour le despote lui-même que pour le peuple. Faut-il énumérer ici les nombreux exemples de décapitations  (au propre et au figuré) de gouvernants despotes ? (Nicolae Ceausescu, Mobutu Sese Seko, Saddam Hussein…) Faut-il de même énumérer le liste des nombreuses nations qui ont connu et connaissent encore pour certaines, une longue errance politique et sociale, liée à des années de gouvernance despotique dont l’irresponsable gestion a fini par laisser des États exsangue. Les conséquences nombreuses, sont aussi bien réelles. Sentiment grandissant d’impunité. Croyance obstinée que la loi ne veut rien dire. Croyance erronée que l’État est l’affaire de certains nantis. Croyance dangereuse que l’on accède au pouvoir par des facilités qui peuvent aller de la corruption à l’accomplissement de pratiques secrètes sacrificielles. Tendance fâcheuse à systématiquement soupçonner ceux qui parviennent dans la haute administration, d’être ou corrompu, ou extrêmement néfaste, car nécessairement anthropo-sacrificateur.

 

Obtenir un mandat du peuple est le seul moyen véritable d’arriver au pouvoir. Respecter les institutions et assurer leur indépendance est le seul moyen de les pérenniser et de les rendre consistante. Les exemples sont nombreux et sachons nous en inspirer. Je dis bien inspirer et non reproduire.

 

 

 

 

Pour en revenir à ce jeune président de séance animant une réunion politique publique au Gabon, puisque là était le point de départ de ma réflexion, je reste penser qu’il ne m’aurait jamais traité de Ben Moubamba s’il avait pris la peine de noter la signifiante différence qui s’impose entre ce dernier et moi, dans la grande élégance vestimentaire dont Bruno fait montre. Ce qui à mes yeux, a suscité une forme d’admiration en plus du grand talent oratoire dont il sait faire preuve si l’on ne s’attarde pas trop à sa tendance à vouloir systématiquement se mettre en scène.

Cet homme là ne m’aurait pas traité d’intellectuel occidentalisé à la solde de la « pensée blanche » s’il avait lu les propositions de la Trias Politica de Montesquieu et Politique d’Aristote. Il n’aurait jamais reproché  à Ben Moubamba d’être celui qu’il est ni d’avoir les positions qu’il a,  s’il avait suffisamment connaissance des implications historiques en termes de dommages et de gâchis, d’un régime mal ficelé ou travesti. Enfin et surtout, il penserait bien autrement si la portée de ses intérêts pouvaient seulement transcender le souci du ventre pour s’inscrire dans l’histoire du Gabon. Je veux dire, penser le Gabon de 2033…

 

J’ai souvent tendance à penser que, outre la comparaison avec l’Église catholique, les dogmes politiques sont comme des éléments chimiques. Tout mauvais mélange est potentiellement dangereux. Respecter les formes des régimes, c’est comme respecter les formules. Le dosage est fonction du récipient. Ce qu’il faut avant tout, c’est connaître cette chimie là que mon grand père appelait « le jeux des dieux ».

 

 

De la carrière politique, du bon et du mauvais narcisse. Ou comment ne pas se noyer dans le fleuve…

 

Je me suis toujours interrogé sur ce qui pousse un individu comme moi et bien d’autres à se lancer en politique. A penser que, dans la grande diversité des activités, des sacerdoces et des loisirs qui existent, comment se fait-il que c’est la politique que nous avons choisi ? Elle est extrêmement rude et dangereuse à plusieurs égards pour n’être qu’un loisir. Elle comporte sa part de drames personnels, de ridicule, d’humiliations et de blessures égotiques particulièrement néfastes pour la santé mentale, pour que l’engagement politique soit pris à la légère. Qu’est ce qui pousse un homme normal à se lancer là dedans ? Les réponses sont multiples et chacune comporte surement une part de sincérité, une autre part de non dit et une part de non-su.  

Au Gabon, le professeur Guy Rossatanga s’est penché sur la question, dans son « Introduction à la sociologie politique » (Ed. Raponda Walker, 2006). Dans cet ouvrage, il reprend un certain nombre de théories déjà développées par G. Burdeau (Traité de science politique, T.4, Paris, LGDJ) et par  J-M Denquin (science politique, PUF, 1989). Le professeur Rossatanga distingue trois profils :

 

 

. Le Passionné

. Le jouisseur /ambitieux [ajout de l’auteur]

. Le naïf

 

Le professeur Jacques Baguenard quant à lui, pose la problématique différemment. Il s’interroge sur l’idée assez bien répandue selon laquelle « le pouvoir rend fou » et inverse la question en se demandant si « la convoitise du pouvoir ne révèle pas d’emblée un déséquilibre narcissique initial justifiant une quête éperdue de compensation et de reconnaissance ». (Baguenard, les drogués du pouvoir, Ed. economica, 2006).

 

Les questions telles que posées et reconnaissons-le ne sont pas vaines. François Hollande et moi au cours d’un échange à Pontanézen à Brest au sujet de son éventuelle candidature aux primaires socialistes avions eu une discussion à ce sujet. Il me disait qu’une telle décision devait être réfléchie très sérieusement. Car, « se lever un jour et penser qu’on peut être le président des français, ce n’est pas rien. Cela  relève d’une forme évidente de mégalomanie qu’il faut personnellement et ensuite aux yeux des autres, pouvoir assumer ».

 

Dans  L’audace d’Espérer, 2006, p. 133, B. Obama évoque le souvenir de sa décision d’aller aux primaires démocrates, pour l’élection au Sénat, contre Bobby Rush en 2000. « Cela requiert au minimum une certaine mégalomanie, la conviction que, de tous les gens talentueux de votre État, vous êtes, pour une raison ou pour une autre, le plus qualifié pour parler en son nom, une conviction suffisamment forte pour être prêt à subir l’épreuve parfois exaltante, parfois accablante, mais toujours légèrement ridicule, que nous appelons campagne électorale ».

 

De ces quelques points de vus, il ressort que la décision d’aller en politique et la perspective d’un mandat n’est jamais une décision ordinaire. Elle a sa part d’ambition, de narcissisme et de Mégalomanie. Elle dresse au grand jour les articulations d’un rapport avec Soi. Cependant ! Il est toujours très intéressant de s’interroger sur la nature de son ambition. Elle peut être personnelle ou collective. Il est aussi aisé de comprendre que la volonté de « pourchasser l’applaudissement du peuple, d’être porté en triomphe ou de se tenir en statue d’airain sur le forum » sont autant d’éléments qui traduisent une inconsciente volonté de panser quelques déchirures de son histoires personnelles. Il est également possible de découvrir en soi, une volonté inébranlable de servir un intérêt général qui nous dépasse, nous, nos proches et qui se décline pour des générations futures. Sentir que l’on a cette ambition, que contrairement à quelques nombreuses personnes, on a la chance d’avoir du courage, de ne pas être très abonné au sentiment de peur et à ses effets paralysants, d’avoir de la vision politique. Être disposé à faire face à cette part accablante et parfois humiliante que la politique comporte de lots, sans remettre en cause le fondement de ses idées. Avoir des convictions, une idée assez partagée de ce qui est juste et bon pour l’intérêt général. Voici, ne pas être égoïste et faire don de soi au sens de l’histoire.

Là où, la détermination, l’écoute et la consultation sont le propre de celui qui nourrit une ambition collective, l’obstination et la surdité sont les caractéristiques de celui qui cherche à satisfaire une ambition personnelle. Distinguer les deux est une démarche assez aisée pour le citoyen ordinaire. Mais quelque soit l’un ou l’autre, l’idée et l’esprit de la démocratie exige que seul le peuple choisit toujours ses gouvernants, quitte à, soit en vivre l’heureuse expérience, soit, en connaître la douloureuse liaison. Ne dit-on pas qu’un peuple a les dirigeants qu’il mérite ?

Cependant, en aucun cas, et j’insiste à ce sujet, il n’appartient à nul homme politique d’imposer à un peuple une idée de ce qui est bien pour ce dernier.

Le pouvoir dans une République s’obtient uniquement par la voie des urnes et le vote se fait sur la base d’un projet de société validé par les suffrages.

 

En Afrique, les gouvernants ont pris la fâcheuse habitude (pour des Républiques) de tricher pour accéder au pouvoir, lorsque ce n’est pas la force armée qui est utilisée. Les exemples d’une élection démocratique et libre y sont aussi rares que les saisons de pluies enneigées. Ce qui me pousse à m’interroger non plus sur la personnalité des gouvernants, mais sur la vraie psychologie des peuples africains, sur le rapport de l’homme africain avec le pouvoir (qu’il confond trop souvent au commandement) et ses détenteurs, bref, sur le régime politique adéquat. Poser cette question c’est aussi mettre en lumière la responsabilité du peuple en tant qu’entité souveraine. Oui ! Le peuple a sa part de responsabilité dans la construction et la déconstruction des histoires politiques.

 

Je vais glisser ici sous la forme d’une fausse provocation, l’idée qu’il faudrait peut-être songer à revoir les régimes politiques africains et aller dans le sens de ce qu’historiquement et anthropologiquement nous avons connu : Les Monarchies et les Empires avec leurs systèmes de chefferies… Là je choque certainement plus d’un, cela ne me surprend guère et au passage, je récupère des amis que je mettrai quand même en garde. Voici les quelques raisons pour lesquelles, je le pense. D’abord en Afrique, il existe un rapport très paternel entre le dirigeant et le peuple. A-t-on jamais entendu appeler un chef d’État, « papa X » ou « Yaya Y. ». L’émergence même de ce seul rapport biaise d’emblée le jeu de la démocratie et la création  des avatars de la République. L’autorité du père en Afrique est incontestable là où le jeu et le fondement même de la République exige, le débat, la divergence d’opinion, mais, le projet collectif et la vision d’ensemble. Le modèle républicain tel qu’il est connu en occident n’a réussi en partie, que grâce à la nature anthropologique et sociologique du peuple occidental pris comme un tout. La naissance d’un parricide en fut l’une des conditions majeures et pas des moindres.

Ce parricide sera repris sous le célèbre slogan : « Dieu est mort » de Friedrich Nietzsche (Le Gai Savoir, aux aphorismes 108 (« Luttes nouvelles ») et 125 (« L'insensé »). Bien pire encore comme nous venons de le voir, le parricide concorde sur un autre plan avec cette forme de déicide que Nietzsche clame ! Et qui avait succédé à la décapitation du Roi de France en 1793 sur la place de la révolution à Paris !

 

 S’il est une chose dont je suis à peu près sûr, c’est que le consensualisme collectif n’est pas la nature fondamentale de la République, ni, le musèlement de l’opinion, un de ses états. Par ailleurs, le père est fait pour durer. On ne change pas de père au cours d’une existence humaine, sauf, cas d’adoption. Comment voulez-vous que l’alternance politique soit la règle dans un tel contexte psychologique, sociologique et politique. Enfin, la mort du père est toujours un drame et sa succession un fait quasi impossible, qui finit souvent dans des déchirements du tissu familial lorsqu’elle ne termine pas par la désignation systématique ou usurpée du primo genitur (premier enfant de sexe mâle). Suivez mon regard…

Face à tant de complexités évidentes, deux options s’offrent à nous en tant qu’Africains.

 

1-      Continuer l’expérimentation du modèle démocratique républicain, en espérant tirer des leçons conséquentes des différents et nombreux drames qui surviendront au cours de cette expérimentation, afin d’aboutir à un état de maturité politique et démocratique.

 

 

 

2-      Comprendre assez vite que les dirigeants sont en réalité des chefs traditionnels qui exercent le pouvoir politique à la manière de chefferies, qui n’entendent être, ni contestés, ni remplacés (remplace-t-on le chef de son vivant ?). Comprendre que le peuple africain est encore dans le modèle de l’anti-Œdipe. Lent à vite distinguer le rapport bien différent de l’image du père (qu’il est vital de tuer dans une logique psychologique, car préalable à toute ambition d’émancipation) et de l’image du mandataire politique (un locataire extraordinaire dont l’étendu des pouvoirs ne dépend que du seul peuple souverain). Dans ce cas et afin d’éviter tout drame, retourner (et c’est ce que certains défenseurs des idées afro-centristes prônent) dans les modèles d’organisations politiques qu’avaient bâti nos anciens, en conformités avec nos croyances, nos mœurs et nos habitus.  

 

Pour ma part, si je pense que le modèle Républicain est celui qui est, à ce jour, le plus conforme et le plus adapté aux aspirations individuelles et collectives, du désir de réalisation personnel de chacun, mais aussi de l’aventure collective, c’est ce modèle que je défends et soutiens (je viens à nouveau de perdre tous les amis qui vont me reprocher de « penser comme un blanc » et que j’avais pour un temps bien bref, reconquis…). Mais à une condition : Que les règles du jeu soient connues de tous et respectées par tous. La charte de l’Onu et le droit international interdisent l’ingérence dans les affaires politiques des États. Il existe des procédures électorales pour déterminer le vainqueur et le perdant à une élection. Des procédures pour contester les résultats d’une élection et des institutions pour trancher en cas de conflit. C’est à cette seule condition que les républiques africaines seront stables et probablement prospères.

 

Cette vision est celle que je nourris actuellement. Elle n’est pas à l’abri de l’erreur, pas plus qu’elle n’est à l’abri des évolutions de ma propre conception de la politique.

A moins, d’ailleurs que je ne me trompe depuis le début et sur toute la ligne, à moins qu’il ne s’agisse ni de politique, ni d’intérêt général,  ni même d’aucune forme de République, mais tout simplement de « Pouvoir et de Sexe» au sens freudien[4].

 

 

 

 

 

 

Amicalement,  Istovant Nkoghe,

Brest, le 08 Décembre 2010

Texte disponible en pdf sur simple demande

Contact : istovant.nkoghe@yahoo.fr

 




[1] « Comprendre la Côte d’Ivoire », (J-C) CAMBADÉLIS – 07/12/2010, disponible sur son site internet.

 [2] Bruno Ben Moubamba est un homme politique gabonais. Candidat malheureux aux dernières élections présidentielles (2009) au Gabon, porte-parole des acteurs libres de la société civile gabonaise et résidant en France. Candidat atypique lors de cette élection il fut perçu comme le stéréotype de « celui qui a trop étudié ». Ce qui lui donne une stature d’intellectuel politique dans un contexte où le pragmatisme et les brutalités politiques prennent les allures de ce qu’il nomme en 2009 « la Sorcellerie politique ».

[3] Formule attribuée à Louis XIV, en 1655

[4] Antoine Auger, Dimitri Casali, sexe et pouvoir, les dessous de la vie des chefs, Ed. de la Martinière, 2008, 189 p. 

 

Publié dans Politique

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J
<br /> tres bonne analyse c'est une intelligence continue sur cette voie<br /> <br /> <br />
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