Indépendances africaines : 50 ans plus tard, repenser les éléments du débat dans un monde post-moderne

Publié le par Istovant

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Introduction :

 

 

Lorsque j’entends la plupart des points de vu portant aujourd’hui sur un bilan des indépendances africaines, je reste quelque peu tantôt abasourdi ou tantôt amusé par au moins deux choses. L’une entrainant inéluctablement l’autre :

 

D’abord, une forme d’unanimité des points de vu que j’ai jusqu’ici entendu à ce sujet et qui si au départ pouvait paraître compréhensible et rassurante pour les africains, avec le temps, devient lassante et à mes yeux inquiétante.

 

La deuxième chose, donc, et qu’entraîne cette unanimité de positions, c’est le non-discours. L’évanouissement de ce dernier dans un ensemble uniformisant et sentant le « bien-pensant » dans un domaine où l’éthique et les discours du cœur sont mauvais, pour l’analyse et les projections.

 

Penser une question, un évènement, c’est lui donner un sens. Soit que ce sens soit imposé par l’éclat des évènements (et encore…), soit que ce sens soit provoqué par l’individu, à contre pied du mouvement général. Détaché du contexte spatio-temporel, penser c’est donner du sens à un évènement, après que celui-ci ai eu lieu ; avec des mots.

 

En guise de problématique, je voudrais m’interroger sur trois questions :

 

« En matière d’indépendance, de quoi s’agit-il en réalité ? »

« Les États africains souhaitent-ils réellement leurs indépendances ? »

« Est-il de nos jours, pertinent de se poser la question de cette manière ? »

 

Apporter quelques indices et une grille de lecture trop peu évoquée lorsque l’on aborde la question des indépendances africaines, mais Ô combien fondamentale, pour obtenir les réponses essentielles et probablement réorienter le débat.

 

J’ai eu recours, pour les besoins de mon propos, à l’invocation de trois mythes (I), à l’analyse d’une fiche signalétique (II) et à l’établissement d’un état des lieux sous la forme d’axiomes (III).

 

 

I-                   « L’origine du monde » : brève esquisse d’une pensée ontopolitique

 

 

A l’évocation de ce titre, même si le souvenir de la toile de Courbet peut paraître séduisant à certains esprits, c’est de toute autre chose dont il s’agit ici ; le force créatrice du Chaos comme force structurante et non structurée.

 

En 1922, le russe  Alexandre Friedmann, repris par le belge Georges Lemaître, mettaient en place le modèle cosmologique qui allait expliquer l’origine de l’univers, dans la pensée scientifique occidentale. Selon la théorie du Bigbang, celle-ci serait le résultat d’une expansion chaude et rapide s’apparentant à une explosion.

 

Aussi surprenant que cela puisse paraître, une version similaire existait déjà dans la cosmogonie fang. Dans ses ouvrages, l’écrivain, philosophe et artiste gabonais, Tsira Ndong Ntoutoume, évoquait le songe d’Oyono Ada.  Selon le récit de ce dernier, l’univers serait issu de l’explosion d’un œuf de cuivre (Aki gnoss) renfermant une forme intelligente, créatrice et libératrice.

 

Le deuxième mythe que je voudrais évoquer ici est la tragique histoire d’Antigone selon la version de Sophocle.

 

Antigone est la fille d’Œdipe, roi de Thèbes et la sœur de deux prétendants à la couronne qu’Œdipe vient de quitter : Polynice et Etéocle. Les deux frères en quête de pouvoir, vont se livrer à une lutte épique, dont la mort sera le dénouement final. Antigone est condamnée par Créon à être enterrée vivante dans le tombeau des Labdacides pour avoir donner une sépulture à son frère Polynice. Son fiancé Hémon, fils de Créon, se tue sur le cadavre d'Antigone et l'épouse de Créon, Eurydice, se suicide après avoir appris la mort de son fils Hémon.

 

Dans une approche ontopolitique, cette tragédie est analysée, comme le fondement du discours politique et des logiques qu’il engendre[i].

 

La dernière histoire que je voudrais ici conter est une fable de la Fontaine intitulée, « le pot de terre et le pot de fer ». Dans cette fable, le pot de fer, propose au pot de terre d’aller en voyage. Proposition que le pot de terre, conscient de sa fragile constitution, décline. Cependant, le pot de fer arrive à convaincre le pot de terre de le suivre en évoquant le fait, qu’en cas de mésaventure, ca serait, lui, le pot de fer qui viendrait s’interposer entre l’adversité et le pot de terre.

« L'un contre l'autre jetés,  au moindre hoquet qu'ils trouvent. Le pot de terre en souffre; il n'eut pas fait cent pas que par son compagnon il fut mis en éclats, Sans qu'il eût lieu de se plaindre. »

 

L’immense culture mondiale, aussi hétéroclite puisse-t-elle être, regorge de récits similaires, souvent forts pédagogiques, sans que, hélas toute la portée de leur sens soit saisie. Et pourtant, rien de ce qui se fait dans la société ne comporte en soi des caractéristiques qui en feraient un élément ex nihilo. « Rien de nouveau sous le soleil ». Et si « l’histoire est un éternel recommencement », c’est qu’il faudrait bien à un moment, lire dans ses signes, afin de mieux la saisir.

 

Au travers de ces histoires, ramassées au passage, j’ai voulu jeter les fondements de ce qui constitue la pensée politique réaliste.

 

Il est possible et légitime de s’interroger sur le lien, éventuel entre des mythes, des croyances religieuses voire mystiques, des comptines pour enfants, et une affaire aussi sérieuse que la politique et les relations internationales. C’est que, justement là, réside tout le sérieux de la politique en tant qu’elle est avant tout, une affaire de drame, de destin, de force et de singularité.

 

A l’heure actuelle, il est méthodologiquement maladroit de vouloir lire ou analyser les conjonctures politiques, de manière isolée, sans avoir la perspicacité de saisir toute l’étendue de la question…du drame, qui au passage est fondamentalement métaphysique mais n’est pas que ça. Car il comporte bien des aspects qui malgré l’aspect noueux de son essence, présentent des éléments mesurables, d’un point de vu quasi scientifique ; du point de vue du juriste et du politologue.

 

 

II-                L’indépendance des États  africains ; une réalité juridique

 

 

Du point de vu droit, la communauté internationale (il s’agit de cela) est composée d’États  et de quelques organisations internationales, décrites avec austérité comme des sujets dérivés en droit international. A l’Unisson, tous les juristes internationalistes reconnaissent à l’État, un ensemble de critères[ii], pour qu’il soit reconnu comme tel, par ses pairs et par ladite communauté des États. Ces critères, au nombre de quatre, sont :

 

·         Un territoire, bordé par des frontières intangibles et idéalement intègre[iii].

·         Une population liée à l’État  par le lien juridique de la nationalité.

·         Une autorité politique légale (à distinguer de la légitimité)

·         Une souveraineté sur la scène internationale qui assure son indépendance.

 

A l’analyse des critères que je viens de mentionner, il m’est difficile de trouver dans la communauté des États  africain, un seul (sur les 54, en incluant les archipels) qui ne remplisse pas les quatre critères. D’abord, parce qu’il ne serait pas reconnu sur la scène internationale comme étant un État. C’est le cas à ce jour pour le Sahara Occidental qui selon un avis consultatif de la CIJ de 1975 : « (…) ne remplit pas les conditions minimales en termes d’autorité politique et de structure gouvernementale (…) : pour qu’on puisse  parler d’État ». A ce jour les États  africains sont d’une part des États  au sens du droit international, mais et surtout, à travers le critère de souveraineté, leur indépendance par rapport à tout autre État  est garantie en droit[iv]. Ce qui sera renforcée ultérieurement par deux notions :

 

v  Le principe de non-ingérence dans les affaires intérieures[v]

 

v  Le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes[vi].

 

Cependant à la lecture de l’actualité internationale de ces dix dernières années, il est possible pour l’observateur, d’éprouver un double sentiment.

 

-          D’une part, un faussée entre le droit international et la pratique des États

 

-          D’autre part, le sentiment que de plus en plus, l’exaltation de ce que Jean-Jacques Roche qualifie d’Hégémon réaliste, atteint un seuil qui frôle la saturation[vii].

 

Ce qui est normal, si l’on a une vision quelque peu idéaliste de l’État  de sa nature et de son rôle. A ce sujet de nombreux philosophes se sont déjà penché sur la question et certains, dont les plus célèbres, Nietzsche, Hobbes et Kant ont posé les bases de la réflexion sur l’État  et de sa nature. Une sorte d’analyse des forces profondes qui animent les logiques de ce dernier.

 

Pour Hobbes, l’État  est  le Léviathan (Bête biblique [Psaumes (74,14 et 104, 26), Isaïe, 27, 1 et au Livre de Job (3:8 et 40:25 et 41:1] sorte de mélange entre serpent, dragon et crocodile assimilée à la Bête dans l’apocalypse)

 

Pour Nietzsche, l’État  est un monstre froid, le plus froid des montres. [(…) Etat, qu'est-ce que cela ? Allons ! Ouvrez vos oreilles, je vais vous parler de la mort des peuples.

L'Etat, c'est le plus froid de tous les monstres froids. Il ment froidement et voici le mensonge qui rampe de sa bouche : « moi l'Etat, je suis le peuple »][viii]. Ce qui d’une certaine manière pose le problème quant à la raison d’État, au nom de laquelle de nombreux actes sont posés, justement, au nom du peuple[ix].

 

 

III-              État  des lieux conclusif

 

Partant de ces postulats, je souhaite enfin aborder le cas des politiques étrangères des États  africains[x]. Car, la question des indépendances, c’est avant tout et surtout, toute l’histoire des remous de la diplomatie.

 

Sur la politique étrangère des États  africains, je résumerai mes points de vu, car une publication ultérieure, consacrée uniquement sur le sujet est en cours…

 

Axiome 1.

 

Les indépendances africaines sont le résultat d’une négociation entre pour la plupart, les puissances occidentales et leurs anciennes colonies. Là où d’un point de vu historique, la plupart des nations occidentales ont connu la leur, « par le feu et par l’épée ». Cet aspect n’est pas négligeable, politiquement. Non pas que je pense que la violence soit la seule alternative, mais qu’elle est comme je l’ai dit maintes fois, un paramètre structurant des rapports entre États. Max Webber pensait que « si la violence n’est pas l’unique moyen de l’État, elle constitue néanmoins son moyen spécifique »[xi].

De là je tire ma première conclusion : « Une indépendance négociée est par nature, une indépendance molle  dont il faut assumer la teneur »

 

Axiome 2 :

 

Si les indépendances ont été le fruit d’une négociation, cela implique l’existence au préalable de parties négociatrices, dont une partie forte (celle qui donne) et une partie moins forte (celle qui réclame). L’intérêt d’opérer un tel découpage, réside dans le fait que cette configuration, couplée au paradigme de l’intérêt et au théorème de l’impossibilité emmène chacune des partie à agir selon son intérêt propre. Pour la partie qui octroie l’indépendance, elle cherche parmi la foule des prétendants au pouvoir, lequel est à même de défendre ses intérêts. C’est une réalité. Et pour le candidat choisi, tout l’intérêt de défendre les intérêts de l’autre partie réside dans la garantie du maintien, aussi longtemps que possible, à la tête du nouvel État. Je crois que c’est ce qu’on appelle parfaitement en biologie, une Symbiose

Ce qui me permet d’ouvrir sur la deuxième question que je posai en guise de problématique.  « Les États  africains souhaitent-ils en réalité leurs indépendances ? » Si ces revendications existent, elles proviennent des populations qui trouvent dans les liens diplomatiques « trop étroits » entre certains États  occidentaux et certains États  africains, une justification à l’incapacité des dirigeants africains à tenir des promesses d’avenir. Cette étroitesse des liens diplomatiques elle-même justifiée par un ensemble de considérations relevant ou de l’occultisme, ou de « la raison d’État  ». Je le dis, car il semblerait que les dirigeants africains n’aient nullement, à ce jour, le sentiment d’être des gouverneurs à la tête des provinces de l’Empire. Sur cette même idée, lorsqu’ils souhaitent se détacher des puissances occidentales, c’est pour se rapprocher diplomatiquement de la nouvelle puissance chinoise dont rien ne nous dit à ce jour qu’elle n’est pas « impériale ».

Effectivement, il semblerait de prime abord que la Chine ne soit pas intéressée par les questions de politiques intérieures des États  africains (Cf. Gabon, Côte d’ivoire…), l’expérience ultérieure nous permettra de vérifier cette hypothèse que nous ne pouvons refermer trop tôt. Car les relations « Chinafrique » sont trop récentes pour en tirer de sérieuses conclusions.


 Axiome 3 :

 Le dernier axiome repose sur le constat de l’absence d’une doctrine expresse en matière de politique étrangère pour les États  africains. Cette absence de Praxis, conduit inéluctablement à l’improvisation qui elle-même conduit souvent à l’amateurisme en cas de crise. Il manque dans la sous région de l’Afrique subsaharienne, une véritable cohérence en matière de politique étrangère. En tout cas j’aimerai que l’on me donne ouvertement (sur des bases textuelles) les motivations qui sous-tendent l’intervention dans tel crise et l’abstention dans telle autre, qui serait similaire…


 Axiome 4 :

 

Repose sur le constat d’une forme d’archaïsme ou de ringardise dans les revendications que certains intellectuels africains, jugent aujourd’hui essentielles.

 

Si aujourd’hui je parle d’indépendances africaines, c’est uniquement parce que cela m’a été demandé d’une part et que c’était là aussi l’occasion de dire a pensée d’autre part. La manipulation de ces concepts me dérange fortement, car, ils me laissent, la terne impression qu’on parle en 2011 d’un concept qui tout comme les concepts d’État, de souveraineté, de frontières, sont pour moi, des concepts du siècle dernier. Des concepts, de l’époque Westphalienne, où les considérations stato-centrées étaient les socles de la réflexion portant sur l’organisation des sociétés et le devenir de la personne.

 

Aujourd’hui, le mode de gouvernance des sociétés et donc, les préoccupations des États, ont fortement changé. Jacques Chevallier parle volontiers de « l’État post-moderne », comme nouveau modèle de l’organisation des sociétés[xii]. De manière évidente, nous sommes passés d’une époque où la question de l’expansion du territoire était la préoccupation majeure des États, à une époque où il s’agit désormais de l’organisation de ce dernier.

 

Dans un tel contexte, il me paraît désuet de s’interroger sur les indépendances là où il n’existe pas, d’un point de vu stricto sensu, d’États, véritablement indépendants au monde. Le plus puissant d’entre eux (les Etats-Unis) est fortement endetté (3000 milliards de dollars) auprès de la Chine, du Japon et de la Corée. Ce qui oblige les Etats-Unis à accepter la sous-évaluation de la monnaie chinoise (yuan) et donc à faciliter les exportations chinoises dont le marché américain est la principale cible.

 

D’un point de vu juridique et régional, c’est la construction européenne qui a mis en place un ensemble juridique qui dicte désormais à l’intérieur des frontières, les politiques, des États  membres de l’Union, selon le schéma de l’auto limitation de souveraineté.

 

Dans ce cadre, la montée de la société civile traduit en Afrique, non pas la fin de l’État, mais son incapacité à avoir tenu les promesses du Contrat social et donc, la nécessité de réorienter les débats fondamentaux. C’est aussi, essentiellement cette société civile qui réclame non pas l’indépendance en tant que concept politico-juridique, mais simplement le « droit des peuple à vivre dans le bonheur » selon des modèles de sociétés par eux définis. A mon avis, cette revendication n’est pas une utopie lorsque l’on sait que dans certains États  africains, cela est possible en théorie et en pratique.

La question de l’administration du territoire, donc de la gouvernance ; la question du développement durable et de la répartition des richesses, donc les vraies questions d’avenir sont pour moi, ici les quelques exemples de défis auxquelles l’Afrique a à faire face, ces 20 prochaines années. Car ici, il ne s’agit, ni de courir encore moins de « rentrer dans l’histoire », mais de la faire et de la bien faire !

 

 

Avec mes sincères remerciements,

 

Istovant Nkoghe

Brest, le 6 mai 2011.

Texte présenté à l’occasion de la commémoration de l’abolition de l’escalvage

Dans le cadre du Festival Breizh Africa.


Notes et références

 

[i] Il est possible de la compléter avec Œdipe Roi.

 

[ii]  Pierre-Marie Dupuy, Droit international Public, Paris, Dalloz, 2002, 6e éd. pp. 29-145

 

[iii] La résolution 1514 (XV), adoptée le 14 décembre 1960 par l'Assemblée générale de l'ONU, admet cette limite et lui consacre le paragraphe 6 qui dispose clairement que, « toute tentative visant à détruire partiellement ou totalement l'unité nationale et l'intégrité territoriale d'un pays est incompatible avec les buts et les principes des Nations Unie

 

[iv] Charte des Nations-Unies, art.2§1 « l’organisation est fondée sur le principe de l’égalité souveraine de tous ses membres »

 

[v] Chapitre I, Article 2.7 de la Charte des Nations unies : « Aucune disposition de la présente charte n'autorise les Nations unies à intervenir dans les affaires qui relèvent essentiellement de la compétence nationale d'un État. »

 

[vi] « (…) principe de l'égalité de droits des peuples et de leur droit à disposer d'eux-mêmes » (article 1, alinéa 2 de la Charte des Nations-Unies).

 

[vii] Jean-Jacques Roche, Théorie des relations internationales, Paris, Montchrestien, 5e éd. 2004 p. 19

 

[viii] Nietzsche, Ainsi parlait Zarathoustra, 

 

[ix] C’est au nom des peuples ivoirien et libyen que les forces sous mandat de l’ONU ont justifié leurs interventions militaires.

 

[x] Pour les besoins de l’analyse, celle-ci se réduit essentiellement aux États  de l’Afrique subsaharienne et dans une moindre mesure concerne certains États  du Maghreb dans ce qu’ils ont d’identique dans les évolutions des régimes. L’identité de leurs trajectoires politico-institutionnelles explique ce choix.

 

[xi] Max Weber, Le savant et le politique, paris, Plon, 1959, p. 112

 

[xii] Jacques Chevallier, L’État  post-moderne, LGDJ, 2003 

Publié dans International

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